Les Enfants du Serpent : Quand l’Horreur du Kivu Frappe Bruxelles

Les Enfants du Serpent s’est imposé comme une œuvre exceptionnelle dans le monde littéraire, remportant pas moins de 6 Prix Littéraires ! Comment ce thriller, puisant dans des thèmes d’une sensibilité extrême, réussit-il à captiver si profondément ses lecteurs, les plongeant dans une histoire où l’horreur côtoie l’espoir?

Une Plongée Émotionnelle au Cœur du Kivu

Ce roman percutant tisse un récit à double temporalité et double localisation. En 2012, au Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo, Gloria et sa fille Fiona, âgée de neuf ans, survivent au massacre de leur village par une milice. Cinq ans plus tard, en 2017, un homme d’origine africaine est retrouvé laissé pour mort à Bruxelles, portant la signature glaçante de cette même milice: les yeux arrachés.

Clarence Pitz a affronté une angoisse sincère en abordant un sujet aussi grave, craignant d’heurter les lecteurs ou de verser dans le voyeurisme. L’écriture des premières scènes fut un véritable défi personnel pour l’autrice. Elle a choisi d’utiliser une comptine africaine pour suggérer l’indicible plutôt que de le décrire crûment, une technique qui, paradoxalement, rend la scène encore plus marquante selon les lecteurs. L’autrice était même angoissée à l’idée de devoir communiquer et commercialiser un livre traitant d’un tel sujet sensible, trouvant cela presque indécent.

Quand la Suggestion Dépasse l’Horreur

L’objectif de Clarence Pitz n’était pas de créer un livre gore, mais de bousculer l’humanité de ses lecteurs en privilégiant l’émotion et la suggestion. La retenue dans la description des atrocités laisse une place cruciale à l’imagination du lecteur, rendant l’impact encore plus puissant. Après tout, la suggestion n’est-elle pas souvent plus terrible que la démonstration directe?

Ce roman rappelle que les événements lointains peuvent avoir des répercussions bien plus proches qu’on ne l’imagine. L’homme retrouvé à Bruxelles est directement lié au massacre congolais, montrant que les frontières géographiques ne limitent pas les conséquences des actes humains. Par ailleurs, nous sommes tous connectés par des réalités comme le coltan, indispensable à nos téléphones et ordinateurs, extrait des mines du Kivu, liant nos vies à celles des populations locales. Ce message est présent en filigrane tout au long du livre.

Karel Jacobs : L’Inspecteur au Grand Cœur Brisé

L’enquête est menée par Karel Jacobs, un personnage récurrent et charismatique, qui dit toujours « ver d’hom ». Ce flic bruxellois d’origine flamande, résidant en banlieue bruxelloise, est un père célibataire à la quarantaine qui jongle avec son métier exigeant et l’éducation de sa fille Zita. Son caractère bougon cache un grand cœur, et il évolue dans ce roman pour devenir encore plus humain et sensible, loin de la froideur initiale.

Karel Jacobs forme un duo dynamique avec son coéquipier plus jeune, Fred Bolan, dont l’humour potache apporte une touche de légèreté nécessaire face à la gravité des enquêtes. Cette complexité du personnage, confronté à des épreuves personnelles et professionnelles, contribue à le rendre incroyablement crédible et attachant. Est-il le pilier dont on a besoin face à l’horreur? Bien qu’il soit possible de lire les ouvrages de la série de manière indépendante, l’autrice et l’intervieweur conseillent de les lire dans l’ordre pour apprécier pleinement l’évolution personnelle de Carole Jacobs.

Une Création Née de l’Épreuve et de la Recherche

L’écriture des Enfants du Serpent fut un processus long et émotionnellement exigeant pour l’autrice, s’étendant sur près de deux ans, parsemé de pauses nécessaires pour reprendre son souffle. Ce travail intense a été nourri par une documentation approfondie. Clarence Pitz s’est notamment inspirée d’ouvrages comme « L’homme qui répare les femmes » du docteur Denis Mukwege (prix Nobel), et de documentaires poignants comme « L’empire du silence » de Thierry Michel. L’idée originale est venue d’un lieu méconnu à Bruxelles, qui avait un lien avec la République Démocratique du Congo, et de la volonté de travailler le thème de la maternité.

Le roman, bien que fictionnel, s’inspire de réalités sociétales tragiques, notamment les viols et l’utilisation du corps des femmes comme arme de guerre au Kivu, souvent liés à l’emprise des mines de coltan. Clarence Pitz insiste sur le fait que son œuvre n’est pas un essai de géopolitique, mais un thriller qui a pour vocation d’informer et de sensibiliser un public qui ne lirait pas forcément des analyses plus arides. Elle a inventé la milice des « arracheurs » et leur signature, bien que de nombreuses milices avec des signatures existent réellement.

L’Amour, Lumière au Milieu des Ténèbres

Malgré la noirceur des thèmes, un message d’espoir traverse le livre: « tout le monde est capable d’aimer, même les pierres ordures ». Même les personnages les plus sombres révèlent une part d’amour, parfois moteur d’actions abominables, parfois source de belles réalisations. N’est-ce pas là la complexité de l’humanité?

Le livre est un hommage vibrant aux femmes du Kivu qui souffrent et se reconstruisent, mais aussi aux hommes, comme le personnage de Jonas (inspiré du docteur Mukwege), qui se dévouent pour les soutenir et les sauver. L’autrice en est sortie transformée, ayant exploré de telles profondeurs humaines au cours d’une période personnelle difficile. Elle souhaite que les lecteurs retiennent que des femmes comme Gloria et Fiona souffrent encore là-bas, et que prendre conscience de cette situation complexe est déjà un pas important face au silence international.

À travers Les Enfants du Serpent, Clarence Pitz nous offre plus qu’un simple thriller; c’est une prise de conscience essentielle, nous rappelant la valeur de chaque vie humaine et l’urgence de ne pas oublier ceux qui souffrent, même dans le silence international.

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